« Sais-tu ce que tu as fait de mal ?
- Est-ce mal que de vouloir jouer dans les règles ?
- La question n'est pas là. Sais-tu pourquoi je t'ai arrêtée ?
- Elle trichait ! Je l'ai vue !
- Non, Sojung. Ce que tu as vu, c'est simplement une enfant qui faisait ce qu'elle pouvait pour s'amuser sans se prendre la tête.
- Ça revient au même.
- Écoutes... Tout le monde n'a pas les mêmes capacités que toi pour comprendre quelque chose de nouveau aussi vite. Ce ne sont que des enfants. Tu en es une aussi. Agis comme tel. »

Agis comme une enfant. Des mots répétés encore et encore ; agis comme une enfant, tu es trop jeune pour comprendre ceci, tu n'as pas l'âge de concevoir cela. Comme si un esprit pouvait être "trop développé, trop tôt, trop vite". Comme s'il était de commun accord de rentrer dans la norme, surtout lorsque l'on vit parmi des dizaines d'autres visages, tous d'un âge similaire, tous à devoir se conformer et se comporter selon l'idée que l'on se fait d'un gamin. Elle n'avait pas de rancœur, ou du moins, aucune qu'elle pouvait réellement justifier. Ils ne savaient juste pas s'occuper d'un être comme elle. Dans un trou perdu comme l'orphelinat où elle avait grandit, l'apprentissage était limité, et pas seulement celui des enfants. Une chance pour eux qu'elle soit aussi intellectuellement avancée : il y avait de la place pour le pardon.


Grandir, vieillir parmi d'autres, semblable à un "plus", un nombre quelconque, n'était pas le plus difficile. Refréner ses pensées, contrôler ses actes, ravaler ses mots, contenir son acuité... Ce qui a tangiblement accru la solitude, le retrait, la réserve. La clairvoyance constante ne pouvait s'épanouir dans un environnement aussi simple et démuni, et alors que les années passaient, cet endiguement qui n'était que caresse dérangeante devint petit à petit oppression étouffante. L'envie de plus, de se laisser vivre, la soif de connaissance jamais tarie força la jeune fille à fuguer pour quelques heures, plusieurs fois, sans jamais se faire prendre, toujours avec talent. Les destinations étaient diverses et variées, mais la principale restait la bibliothèque municipale, dans laquelle des dizaines et des dizaines de livres n'attendaient que ses mains pour les ouvrir, que ses yeux pour les parcourir, et son cerveau pour se nourrir de la quantité de savoir presque infinie dont ils recelaient. La première fois reste encore un des souvenir les plus fort de toute sa courte vie. Une sensation inoubliable de respirer un grand coup après des années d’asphyxie.

« Tu crois pas qu'on va se faire gronder si on fait ça ?
- Mais non, pas du tout, et puis de toute façon, personne ne verra qu'elle est pas là tellement qu'elle sert à rien. C'est pas vrai, sale alien ? Personne t'aime ici, sale monstre ! »

Boom boom. A l'intérieur de la petite pièce, pas plus grande qu'un placard à balais, elle frappait les murs de ses petites mains sous les rires moqueurs et sans pitiés des autres. Les enfants peuvent être biens plus cruels qu'on le croit, si on prend simplement le temps de se rappeler que l'ignorance amène à faire des choses terribles. Il aura fallut une journée entière pour qu'on la retrouve, enfermée dans le noir, seule avec ses peurs naissantes. Ni les cris, ni les coups n'ont été entendus, et alors que la punition tombe sur la mauvaise âme, la victime devient coupable.


La délivrance a pris tout son temps. Des années et des années de refus, d'abandon, à voir les autres partir, à regarder ceux qui était hier camarades devenir membres à part entière d'une nouvelle famille. Les raisons tournaient toujours autour des mêmes excuses : elle était trop avancée, trop à l'écart, trop différente. Personne ne voulait s'occuper d'une enfant surdouée, une charge bien trop lourde à porter. Qui allait l'élever ? Qui allait payer pour les spécialistes, les études ? Qui pourrait avoir envie d'éduquer un gosse qui pouvait tout comprendre bien mieux que soi ?


La réponse : Elle. L'enfant avait bien grandit lorsqu'Elle est arrivée, et si tout espoir avait disparu, ne restait désormais que l'idée alléchante d'un avenir bientôt libre une fois la majorité atteinte. Douze années à supporter un endroit qu'elle était venu à détester, mais lorsqu'Elle s'est montrée sur le pas de la porte, ce en quoi elle ne croyait plus s'est produit. Quelqu'un l'a pris sous on aile. Elle était vieille, un être qui avait depuis longtemps passé l'âge de raison, esseulé et qui avait besoin de compagnie, qui sait, des explications il y en avait, peut-être des tas, peut-être pas, ce qui importait et qui était certain c'était que lorsque Ses yeux se sont posés sur elle, quelque chose s'est produit. C'était comme si, sans même connaître ne serait-ce que son nom, Elle savait déjà : la jeune fille devant ses yeux valait bien plus que tous les trésors de l'univers.

Elle m'a élevée. J'ignore toujours pourquoi moi, qu'est-ce qui l'a poussé à faire ce choix, tout ce que je sais, c'est qu'il lui a suffit de quelques mots et quelques questions pour me ramener chez Elle. Elle était fascinée par mes facultés, et moi, animal sauvage que j'étais – et suis toujours, on peut en convenir, il m'a fallut du temps, beaucoup de temps pour lui accorder ma confiance. Mais Elle était merveilleuse. Sa peau était ridée, Ses mains frêles, Son regard fatigué, mais Son esprit brûlait ardemment, de connaissances et de savoir, d'envie de partager, de m'en donner, de m'écouter. Elle était émerveillée par tout ce que je savais, tout ce que je comprenais, par les capacités hors normes que je possédais. Une intelligence qui ne l'a jamais aveuglée face à ce que j'étais : un petit être meurtris par les années de solitude et de confinement. Alors, Elle a pris soin de moi. Jamais je n'ai été aussi aimée par quelqu'un que par Elle, Elle n'avait aucune obligation envers moi, je n'étais ni sa chaire ni son sang et quand bien même, Elle m'a tout offert. Une nouvelle vie, un nouvel avenir. Grâce à Elle, j'ai pu suivre l'apprentissage que je méritais, et recevoir l'amour que je n'avais jamais connu.

Une existence que j'aurais pu, sûrement voulu à l'époque vivre éternellement, mais rien ne l'est, tout le monde le sait. Surtout pas face au temps qui passe, et l'âge qui rattrape même ceux dont la flamme intérieure n'a jamais faibli. La vieillesse, sensible face aux maladies, n'a pas épargné ma grand-mère. A l'aube de mon dix huitième anniversaire, elle ne pouvait déjà plus bouger, alitée et accablée par un cancer qui n'avait que peu de chance de partir. Toutes nos économies étaient parties sur mes études, sur mon éducation, tant et si bien qu'il ne restait pratiquement plus rien pour elle, alors que j'aurais tout donné pour la guérir.

J'aurais tout donné. Et c'est ce que j'ai fait. Elle me répétait que ce qui comptait le plus était que je fasse de grandes choses, que je poursuive ce pour quoi je m'étais investie pendant si longtemps, que je ne devais pas me gâcher pour prolonger son existence qui avait déjà été bien assez longue. Mais moi, je n'avais qu'elle. Et rien à l'époque ne semblait avoir de sens sans sa présence à mes cotés. Peut-être était-ce aussi de la reconnaissance, peut-être me sentais-je redevable envers cette femme qui m'avait offert une vie de manière si altruiste alors que je n'en avais quasiment plus. Peu importe l'origine, ce besoin m'a poussée à céder à ceux qui gagnait leur vie en trompant les autres. C'était une grande organisation, illégale aussi. Ils m'avaient abordée après avoir consulté les résolutions d’algorithmes que j'avais publié en ligne, des calculs d'un niveau bien plus élevé que mon âge laissait paraître. Ils m'avaient dit qu'ils cherchaient des gens comme moi, que je pouvais devenir riche. Les imbéciles.

Un panneau avec de gros néons clignotant n'aurait pas été plus explicite. J'ai refusé, des dizaines de fois, l'argent n'avait pas d'importance, je me promettais à un avenir bien plus brillant. Jusqu'à ce que j'ai une bonne raison d'en avoir besoin. Il ne m'a pas fallut longtemps pour prendre ma décision. C'est comme ça que j'ai commencé l'activité que je pratique toujours aujourd'hui. Elle ne m'a pas permis de sauver l'être qui m'était le plus cher d'une mort certaine, mais c'était tout ce que j'avais, et tout ce que j'ai encore maintenant. Après le néant, le deuil a laissé place au renouveau, puisqu'il fallait bien avancer, continuer. Je me suis spécialisée, j'ai coupé les ponts avec ceux qui m'ont employé et je me suis mise à mon compte – pour leur plus grand désarrois.

Il n'y a certainement pas meilleur que moi à ce jeu-là. Je peux tout trouver, n'importe quand, n'importe comment. Il est possible voir même très probable que j'en sache plus sur ta vie que tes proches. C'est pour ça que les gens qui m'ont amené sur cette voie au préalable me recherchent encore aujourd'hui, et aussi pour ça que mon physique est un gros avantage. Je suis restée inconnue et inoffensive à leur yeux depuis le début, et je compte bien le rester. Dans mon domaine, il n'y a que moi.

(bonjour la fin nulle et bâclée. sorry. je ferais mieux en rp...)