Il y a les familles idéales. Celles unies et soudées qui même face aux difficultés se relèvent comme si de rien était alors qu’elles ont flanchées. Des marques d’affections bien loin d’être uniquement occasionnelles : des baisers quotidiens, des accolades, des caresses, une main dans les cheveux. Des rires s’élevant autour d’une table bien garnie, des sourires gravés sur les lèvres. Des parents présents et aimants, aisément capable de lier travail et famille. Des enfants adorables, encadrés et obéissants. Une douce odeur d’amour qui se glisse dans les airs mêlées à celle du bonheur qui ne quitte pas leur peau.

Puis il y a les autres, il y a la sienne. Dans le salon, un père endormi sur le fauteuil face à la télévision, une bouteille tenue fermement dans sa main que même Morphée n'a pu lui ôter. Qu'il dorme ou qu'il soit éveillé, le scénario est le même. Pas un seul mot, ni même un regard à leurs égards. Son ivresse constante depuis sa perte d'emploi il y a cinq ans parfume désagréablement l'atmosphère. Dans la cuisine aucune âme ne navigue. Un post-it accroché au réfrigérateur témoigne d'une présence. « Je n'ai pas le temps de vous faire un petit déjeuner, je dois aller travailler. Occupez-vous de Haneul. Je vais rentrer tard. Bisous. » Dès le lever du soleil, ce dernier sera chiffonné avant de trouver un nouveau domicile dans la poubelle. Pourtant, demain ce même message, mots pour mots, sera inscrit sur un nouveau papier collant et se retrouvera affiché à la même place. Unique témoin d'une mère si absente, tellement prise par le travail, que son existence relèverait presque de la légende.

A côté de ce dernier, une photo magnétisée. Trois visages souriants, ceux qu'elle a probablement oubliés avec le temps et pourtant ceux qui animeront le foyer d'ici quelques heures. Deux jeunes adultes du même âge : Sun Hee et Moon Soo, des jumeaux bien qu'il soit difficile de le deviner. Entre eux un garçon plus jeune, Haneul, dont le plan trahit un fauteuil roulant.

Moon Soo est techniquement l’aîné bien que sa sœur l’ait suivi quelques minutes après. Il vous dira certainement que déjà à l’époque elle le collait, elle vous répondra certainement que ce n’est pas vrai. Il a l’image de ce type cool, agréable et ultra social. C’est le cas.

Haneul est le cadet de la fratrie. Âgé de sept ans, il est celui qui n’a pas eu de chance dans la loterie de la naissance. Un handicap moteur dès la naissance, un retard mental détecté un peu plus tard. Pourtant, il reste un enfant épanoui, enjoué pour presque un rien et dévoilant un sourire immense pour pas grand-chose. Sûrement que la donne serait différente si les deux personnes qui l’entourent ne seraient pas là. Si le titre de tuteur légal était attribué au mérite leurs parents seraient très certainement détrônés. Mais de cela, personne ne préfère y penser. De toute façon avec des Si on refait le monde pas vrai ?

Puis il y a Sun Hee. Un sourire bien plus large et franc que l’univers entier. Elle serre ses frères contre elle avec un amour non dissimulé, il n’y a qu’à la regarder pour distinguer en elle la louve qui protège sa meute. Bien qu’étant la seule fille de la fratrie, elle est la plus sauvage des trois. Une langue qu’elle ne retient que trop peu, des émotions décuplés à la hauteur de ses réactions, une énergie qu’elle a elle-même bien du mal à canaliser. Elle est de celles qui fonce tête baissée dans le tas, de celles qui suivent le cœur plutôt que la raison. Les limites ? Elle n’en connait ni dans ses paroles, ni dans ses actes. Sûrement cela est-ce dû à un manque d’autorité et d’éducation.

Aussi loin qu'elle s'en souvienne, Moon Soo et elle se sont faits tout seul même avant que leur père ne se mette à partir en vrille. Pas de présence parentale plus importante qu'à l'heure d'aujourd'hui, tous deux trop occupés à essayer de grimper les échelons, à tenter d'impressionner leurs collègues et patrons. Rapidement jugé autonome, sûrement trop rapidement, elle manque sûrement de repaire et de bases stables. Pourtant, lorsqu'elle fait le bilan de son existence jusqu'à ce jour, elle se dit qu'ils ne s'en sont pas mal sortis. Ils auraient pu mal tourner, prendre une route différente. Dieu sait ce que des gosses livrés à eux-mêmes pourraient faire. Pourtant, rien de cela. Comme tous les gamins ils ont fait quelques bêtises, quelques erreurs mais de ces dernières, ils ont appris.

Haneul y est sûrement aussi pour quelque chose. Dans leur parcours de vie malgré ses malheurs il fut un cadeau magnifique. Inquiets que leurs géniteurs ne cassent l'être fragile qu'il était, ils lui ont tout donnés : leurs temps, leurs énergies, leurs nuits. Ils s'occupaient de lui, mémorisant rapidement les mouvements et comportements nécessaires afin qu'ils n'aient plus jamais à le toucher. Grâce à lui, les jumeaux ont pris en maturité et en amour aussi.

Aujourd’hui mise à part la dépression et l’alcoolisme du paternel, le schéma n’a pas changé : des parents aux allures fantomatiques, les jumeaux qui s’occupent de leur petit frère comme il se le doit. Au sein du cadre de la famille imparfait, autour d’une table bien que normalement garnie il y a des rires et des sourires indélébiles. Au sein de la soit disant famille, il y a la meute.