faut s’imaginer ce tableau minable. toi, une balançoire, une bouteille de soju vide échouée à tes pieds et toutes les peines que t’as essayé de noyer dedans. c’est pas glorieux. et ce qui l’est encore moins, c’est ce message. dans ta tête tu t’es déjà insultée un millier de fois. si c’était une bouteille à la mer que tu voulais lancer, t’en avais une juste sous la main et avec un peu de motivation, la mer t’y étais en moins de dix minutes. t’aurais eu l’air moins désespérée qu’en envoyant ce message, nova… tu t’imagines pouvoir s'extirper encore de la situation, dans un soudain élan de panique. le coup du « je me suis trompée de numéro » tu peux l’oublier direct, t’as grillé cette carte à la première seconde. et t’as beau chercher, la seule solution pour éviter ce que t’as passé des mois à fuir, ça serait de partir, là, maintenant, sans te retourner, et espérer ne pas le croiser au détour d’une allée. mais même si t’es angoissée à l’idée de le revoir et que tout ce que tu as envie de faire c’est prendre tes jambes à ton cou en priant que malgré l’alcool tu ne te ramasses pas au passage, tu ne vas pas bouger de cette balançoire. tu bougeras pas parce que premièrement, ce soir, t’as nul part ailleurs où aller et que t’es trop fière pour montrer l’état dans lequel tu es à n’importe qui d’autre. et aussi parce que tu sais qu’il va venir. il vient toujours, minho. il t’as jamais laissée tomber, pas comme toi… tu te sens déjà idiote. dans ta tête tu passes en revue tous les scénarios possibles; à vrai dire, t’as déjà imaginé vos retrouvailles un millier de fois. et à aucun moment t’as été capable de sortir des excuses acceptables. tu finis toujours par lâcher un « mais jihan… » comme si tout revenait à lui. comme si tout devait toujours revenir à lui. sauf que ce ne sont pas les messages de jihan que tu as ignorés des mois durant. alors tu t’es rendue compte que t’avais aucune excuse pour ce que tu lui as infligé. et t’es pas fière. oh non. c’est pour ça que t’as continué de t’enfoncer dans ton terrier, tu t’es dit qu’avec un peu de chance personne viendrait t’en extirper. et finalement sans que tu puisses l’expliquer (mais la bouteille de soju, elle, si) tu t’es décidée à sortir de l’ombre. et quelle entrée en scène. pathétique. ouais, le tableau est minable. tu laisses ton corps tanguer lentement, tes pieds traînent contre les quelques touffes d’herbes survivantes, tu t’en remets entièrement aux lois de la physique qui commencent à te donner un peu mal au coeur. t’oses pas ressortir ton portable. tu veux pas voir le nombre de minutes qui se sont écoulées. tu veux pas te rendre compte que finalement plus d’une heure est passée et qu’il s’est jamais pointé. parce que la nuit, tu perds la notion du temps, les secondes deviennent vite des heures pour toi. le temps semble s’échapper d’entre tes doigts, il court et t’arrives jamais à le rattraper. ta tête vient s’appuyer sur la chaîne de ta balançoire et tes yeux scrutent tes pieds soulevant la poussière à chaque passage. et c’est là que tu entends les anneaux de la balançoire d’à côté cliqueter. lentement, tu relèves la tête. tu redoutes un peu. beaucoup. t’as comme un faible sourire qui vient se dessiner sur tes lèvres en le voyant. t’espère que t’es pas en train de rêver. mais non. parce qu’il vient toujours, minho. « dis the flash, t’en as pas marre de venir à la rescousse des cas désespérés ? » merde. c’était quoi ça ? ah oui, elle. tu ricanes avant de donner un coup de pied faiblard dans la bouteille qui s’en va rouler un peu plus loin. t’essaies de bredouiller un truc pour rattraper le coup, mais les mots se mélangent un peu. et tu te résignes en poussant un petit soupir. « je pensais pas que tu allais vraiment venir… »