L’image d’un raté. On parlait de lui comme d’un rêveur, un garçon trop peu méfiant, trop souriant, trop enfantin. Jae Hyun se passionnait d’art, de musique, aimait le divertissement. Une sorte de cliché à lui tout seul, installé dans le peu de verdure qu’il trouvait, fixait le ciel en écoutant ses chansons favorites, perdu dans un monde qui n’était qu’à lui. Un monde où tout était différent, où il était différent, où sa famille était différente. Où il pouvait vivre et penser comme il le voulait. Où on ne trouverait pas de failles là où il n’y en a pas.

La famille Moon avait toujours eu bonne réputation. Son grand-père avait brillé lors de la guerre de Corée, une fierté nationale de laquelle on parlait encore avec émotion. Un grand homme revenu du font avec les honneurs pour sa dévotion pour son pays, pour n’avoir jamais flanché face à l’ennemi. Les Moon étaient des hommes robustes, épousant toujours des femmes douces et aimantes, de mère de famille modèle et des femmes parfaite. Sa grand-mère avait attendu son bien aimé pendant ces temps de guerre, lui écrivant tous les jours de belles lettres d’amour qu’elle permet désormais à sa famille de lire. Deux files naquirent de cette union. Deux hommes pleins d’ambition, forts et déterminés, toujours en compétition. L’un devint chirurgien esthétique, l’autre fit succès en montant sa propre entreprise de produits pharmaceutique.

C’est ce dernier qui donner un sens à cette histoire. Moon Jae Wook était ce genre d’homme qu’on enviait, qu’on convoitait ou craignait. Il ne laissait pas impassible, suscitait la jalousie, parfois la peur. Il adorait le contrôle, se surpasser, suivre des plans bien huilé pour arriver à ses fins. Il épousa un bon parti, une demoiselle de bonne famille, jolie, douce, calme, son opposée pour pouvoir le tempérer. Ils eurent un premier enfant, Jae Bum. Une nouvelle fierté pour cet homme à qui tout réussissait. Un garçon, son portrait craché. On décrivait Jae Bum comme était sûr de lui, charismatique, autoritaire, ambitieux… Il fallait le pousser, toujours mieux, toujours plus loin. Un autre frère. Jae Hyun, trois ans plus tard. Dans les premiers mois de sa vie, il n’y avait rien à redire. Un bébé normal, certes plus calme, pour le bonheur de Chae Young qui n’aurait pas supporté un autre braillard, aussi fort qu’elle aimait ses enfants.

Jae Hyun était calme, il était doux. Il aimait jouer à des jeux d’enfant, courir dans le parc, pleurer pour un rien. Son frère s’amusait parfois à le martyriser, prenant rapidement l’ascendant sur celui qui se défendait en courant chez sa mère, des larmes pleins les yeux. Il ne répondait jamais. Son père le regardait d’un coin de l’œil, agacé, reprenant la lecture du journal économique qu’il consultait chaque jour. Il était si faible. Le chef de maison avait rêvé de revoir cette rivalité fraternelle, ce besoin de dominer, de montrer qui était le chef sans que cela ne soit réglé immédiatement. Ce n’était pas qu’il n’aimait pas son second fils, il le trouvait simplement décevant, loin de ses expectations. Il avait essayé de l’endurcir, le forçant à pratiquer des sports « d’homme », à se montrer plus viril, dans ses paroles, dans ses gestes. Ce n’était jamais assez.

Influençable, fragile, naïf, ignorant, il entendait ces termes prononcés autour de lui, tentant de ne jamais les prendre trop à cœur, souriant légèrement. Pourquoi devait-il se battre ? Pourquoi entrer dans une compétition ? Il laissait Jae Bum se battre tout seul, l’humilier, l’écraser. Quand ils étaient seuls, sa mère lui disait que c’était une façon d’exister, de se sentir mieux, plus fort. Inutile de rétorquer. Jae Hyun l’écoutait, évitant au maximum de croiser son frère, longeant les murs de cette maison trop grande pour quatre. Des jours, des mois, des années passaient, petit à petit le jeune garçon s’éloignait, se trouvant des amis, tout pour s’évader. Il s’éprit de musique, s’émerveilla à la lecture d’ouvrages qui le faisait quitter ce monde durant quelques heures, se passionnait de comédie, théâtre et autres arts de la scène. Cette ouverture sur le monde l’aida à prendre conscience de la réalité.

Il était un échec. Aussi bien pour sa famille que pour lui-même. Il n’était pas charismatique, il n’était pas aussi dur pour tenir une entreprise. Il n’avait aucun véritable talent artistique. Un nuage sombre traversait son esprit, l’empêchait de voir un avenir correct, un avenir concret. Pourquoi n’était-il pas comme son frère ? Pourquoi n’était-il pas grand, fort, confiant, cartésien ? Pourquoi n’y avait-il rien pour lui ? Pourquoi avait-il l’impression de toujours décevoir ?


Sa main tremblait légèrement. Il était à l’université depuis peu de temps, vivait dans un studio payé par ses parents. Ecrire était sa libération, son meilleur moyen de s’exprimer. Dans le silence de sa chambre, il fixait ces mots qu’il avait couché sur le papier. Son regard se leva vers une photo de famille que sa mère l’avait forcé à emporter. Son père, sa mère, son frère, lui.  Lentement, il baissa le cadre pour ne plus voir l’image. Un léger sourire flotta sur ses lèvres. Disparaître, l’idée lui plaisait, sûrement un peu trop. Durant des jours, ces pensées tournaient dans sa tête. Dans le silence de la nuit, son regard se perdait dans l’eau qui coulait paisiblement sous ce pont éloigné qu’il affectionnait tant. C’était comme ça qu’il voulait en finir. Se jeter à l’eau, ce qu’il n’avait jamais osé faire. Quitter ce monde. Mais il ne pouvait pas faire cela comme ça. Il voulait leur prouver qu’ils avaient tout faux. Que c’était lui qui serait le plus fort. Sa décision était prise. Avant de s’ôter la vie, il prendrait d’abord celle de son frère. Il tuerait Jae Bum.